Exemple de formalisation pour l'érosion interne dans le remblai
Description de l'érosion interne
Les ruptures par érosion interne et par renard hydraulique ont représenté un peu plus de la moitié des ruptures des barrages en remblai entre 1950 et 1986, en excluant les ruptures pendant la construction (Foster et al. 2000a). Elle constitue la première source d'incidents sur les ouvrages hydrauliques en terre (CFGB 1997). Le mode de rupture par érosion interne peut toucher aussi bien la fondation que le remblai, y compris le noyau étanche. Il peut également se propager du remblai vers la fondation. Pour la période jusqu'à 1986, soixante-cinq pourcents des érosions internes se sont produites dans le remblai, trente pourcents dans la fondation et cinq pourcents du barrage vers la fondation(Foster et al. 2000a). Nous traitons dans ce chapitre uniquement le cas de l'érosion interne au travers du remblai.
Quatre grandes phases s'enchaînent au cours du mécanisme d'érosion interne (Fry 2007) : l'initiation, la filtration, la progression et la formation d'une brèche.
Initiation
La phase d'initiation est caractérisée par l'arrachement de particules. Huit phénomènes d'arrachement peuvent être à l'origine d'une érosion interne (IREX 2003) :
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la boulance : état d'un volume de sol dans lequel les grains flottent, entourés d'une phase liquide continue, sous l'effet d'une pression d'eau qui annule la contrainte effective. La boulance se distingue de la liquéfaction par le mécanisme initiateur qui est d'origine hydraulique (l'écoulement) pour le premier et mécanique (les vibrations) pour le second ;
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la suffusion : mouvement des grains de petite taille non structuraux lorsque la vitesse locale (ou le gradient local) dépasse une certaine limite. Le mouvement des grains est ensuite conditionné par les conditions hydrauliques et géométriques de site ;
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l'érosion régressive : arrachement des particules, une à une, à la surface d'un matériau sous l'effet de la poussée de l'écoulement percolant à travers le matériau. La valeur locale du gradient hydraulique de sortie et les vitesses d'écoulement sont suffisantes pour détacher les particules de la surface. Sont distingués :
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le débourrage : déséquilibre d'un volume de sol sous l'action de la poussée de l'eau que la résistance au cisaillement sur le pourtour du volume ne parvient plus à compenser. Il peut se produire dans le cas d'une fissure rocheuse ou d'un conduit karstique rempli de matériaux argileux et peut provoquer un élargissement de la fissure ;
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la dissolution : disparition d'une partie des constituants des particules, sous une action chimique ou thermique ;
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la défloculation ou dispersion : phénomène physico-chimique qui tend à diminuer la taille des agglomérats de particules argileuses, disperser les plaquettes d'argile et faciliter leur mobilité.
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l'arrachement ou l'entraînement : détachement des particules des parois d'un canal ou d'une rivière à partir d'une certaine valeur du cisaillement engendré par l'écoulement. Ce phénomène commande la vitesse de développement des renards. Le débit solide évacué est fonction du rapport entre la contrainte de cisaillement réelle et la contrainte de cisaillement critique ;
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l'exsolution : de l'air piégé dans le noyau lors de la mise en eau est comprimé et partiellement dissous dans l'eau en partie amont du noyau. L'air est ensuite transporté par l'eau via le corps du barrage et relâché dans les parties aval du noyau où la pression de l'eau interstitielle est plus faible. Il en résulte une diminution locale de la perméabilité lors du piégeage de l'air et de fait une augmentation nette des pressions interstitielles (St-Arnaud 1995).
Filtration et progression
La filtration est la phase pendant laquelle la relation entre la distribution de taille des particules du matériau et du filtre détermine si l'érosion va se poursuivre ou non.
Pendant la progression se produisent l'agrandissement du conduit et l'augmentation de la pression interstitielle et des fuites. Ces phénomènes dépendent des conditions mécaniques (est-ce que le conduit va rester ouvert ou se rompre ?) et des conditions hydrauliques (est-ce que les zones à l'amont peuvent contrôler le processus d'érosion par une limitation des écoulements ? est-ce que le gradient critique ou la vitesse augmente ?).
On distingue deux modes de transport : le renard et la suffusion (CFGB 1997) (cf. figure suivante).

Lors du phénomène de renard, le transport des particules est concentré dans un conduit et les vitesses d'écoulement sont rapides. Sont distingués en fonction des mécanismes mis en jeu dans l'initiation et la progression (Foster et al. 2000b) :
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le renard par érosion régressive dans lequel l'eau entraîne de fines particules en commençant par le débouché à l'aval. L'érosion remonte ensuite vers l'amont en s'accélérant car l'eau a un trajet de plus en plus court à parcourir et sa vitesse augmente ;
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l'érosion interne par fuite concentrée qui se produit du fait par exemple d'une fissure dans le noyau, d'une zone de forte perméabilité ou le long d'une conduite. Le trou initié s'agrandit pour former un conduit ;
Dans ces deux situations, le phénomène peut mener jusqu'à l'ouverture d'une brèche dans l'ouvrage.
Lors du phénomène de suffusion, le transport est diffus dans l'espace poreux interparticulaire et les vitesses sont initialement peu élevées. L'écoulement entraîne les particules les plus petites au travers de la matrice formée par les molécules les plus grosses. La teneur en fines diminue donc dans le temps. La suffusion peut tendre vers les trois modes de rupture suivants (CFGB 1997) :
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la formation à l'aval du barrage ou de la fondation d'une zone dans laquelle la vitesse devient suffisante pour qu'apparaisse une érosion régressive évoluant éventuellement jusqu'à l'amont pour créer un renard qui ici, ne s'établit pas le long d'un cheminement préexistant. La cause est la perte de fractions fines qui provoque une perméabilité plus élevée et donc des vitesses d'écoulement plus élevées ;
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un affaissement local de la crête provoqué par l'entraînement de matériaux et donc une diminution de la densité du matériau constitutif du remblai ;
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la formation d'une zone instable à l'aval du barrage ou de la fondation, par augmentation des pressions interstitielles due à la formation de zones colmatées par l'arrivée des fines.
Le mode de rupture par renard hydraulique est plus rapide que le mode de rupture par suffusion. Il conduit rapidement à la rupture par création d'une brèche : ainsi 1h30 s'est écoulée entre le moment où une fuite d'eau claire a été signalée près de la galerie de vidange et la rupture par apparition d'une brèche pour le barrage de Bila Desna en République Tchèque (Simek 1997), une brèche s'est ouverte en moins d'une heure après le premier constat d'un écoulement direct pour le barrage des Ouches en France (Peyras 2003). L'augmentation des débits de fuite est également un indicateur remarquable : par exemple, lors de la rupture d'un remblai zoné sur la rivière Quail, le débit est passé d'environ 15 L/s à 2000 L/s en 12 heures, l'eau se chargeant peu à peu en matériau au cours de cette courte période (Catanach et al. 1991). Ces phénomènes extrêmes menant à la rupture peuvent se produire à la première mise en eau mais également beaucoup plus tard dans la vie d'un barrage : 200 ans pour le barrage des Ouches. Actuellement, il n'est pas possible de prédire de manière fiable les barrages pour lesquels l'érosion progresserait rapidement plutôt qu'à un rythme lent (Brown et Gosden 2006).
Formation d'une brèche
La formation d'une brèche est la phase finale du mécanisme d'érosion interne. Elle peut provenir de quatre phénomènes : agrandissement du conduit (renard hydraulique), instabilité de la pente aval (instabilité générale), instabilité locale ou glissement de peau, ou surverse du fait du tassement de la crête.
Origines de l'érosion interne
Les origines de ce mode de rupture sont tous les phénomènes qui entraînent des circulations d'eau dans le remblai ou la fondation et un transport des particules à savoir :
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la défaillance du système d'étanchéité : dissolution du rideau d'injection, fracture du voile d'étanchéité, vieillissement du masque amont (fissuration, écaillage, faïençage), conception et/ou réalisation inadéquates du dispositif d'étanchéité ;
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l'absence de filtre ou des conditions de filtre non respectées, le contact entre un matériau grossier et un matériau fin (suffusion externe) ou encore des matériaux dans lesquels la granulométrie n'assure pas l'auto-filtration (suffusion interne) : ces situations permettent un entraînement des particules fines vers l'aval ;
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le colmatage, le contournement ou la rupture du dispositif de drainage, la rupture d'une canalisation ;
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l'augmentation des percolations liées à la nature des matériaux : augmentation des sous-pressions dans la fondation rocheuse, instabilité des matériaux en fondation ou en remblai du fait de sauts de granulométrie entre couches successives, compactage mal réalisé autour d'un instrument d'auscultation ou d'une conduite. (Foster et al. 2000b) estiment qu'environ la moitié des ruptures par érosion au travers du remblai est associée à la présence de conduites. Ces mêmes auteurs montrent que le compactage du remblai est un élément essentiel de sécurité : les barrages sans réel compactage sont quinze fois plus susceptibles de se rompre que des barrages où le compactage a été conduit selon les recommandations modernes ) ;
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la déformation ou la fracturation du remblai : rupture par cisaillement, consolidation ou tassement de la fondation, modifications dans les états de contrainte dans le remblai, compactage insuffisant ou encore sollicitations du milieu (gel, dessiccation en profondeur) ou liées à l'exploitation.
Les ouvrages (CFGB 1997 ; IREX 2003) sont consacrés au mécanisme d'érosion interne et présentent ses origines, sa détection, les mesures de protection et les confortements de manière très détaillée.
Résultats de la formalisation dans le cas de l'érosion interne dans le remblai
La figure suivante présente le modèle développé dans le cas de l'érosion interne dans le remblai. Trois fonctions sont concernées : Etanchéité, Drainage et Auto-filtration. Quatorze indicateurs permettent d'évaluer la fiabilité des fonctions et par combinaison, la sécurité vis-à-vis de l'érosion interne dans le remblai. Les agrégations sont réalisées par des règles SI-ALORS ou par des opérateurs arithmétiques, le maximum dans notre cas.
La fiabilité de chaque fonction est évaluée par la combinaison par l'opérateur maximum de chacun des indicateurs impliqué dans cette fonction. Ainsi :
μFEtanchéité = MAX[Fissuration dalles, Mouvement Différentiel, Qualité béton, Débit / Diminution Débit]
μFDrainage = MAX[Etat exutoire drain, Etat collecteur drain, Fuite eau claire, Présence végétation, Augmentation débit, Piézométrie]
μFAuto-filtration = MAX[Fontis, Tassements différentiels, Fuite localisée et chargée, Présence d'arbres]
La conformité aux règles de l'art est évaluée par des modèles similaires.

La sécurité de l'ouvrage vis-à-vis d'un mode de rupture est obtenue par la combinaison des fiabilités de fonction par des règles SI-ALORS telles que :
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(R1) - SI note Indicateur Fuite > 2 OU SI note Indicateur Piézométrie > 2 ALORS note Phénomène Infiltration = MAX (note indicateur Fuite, note indicateur Piézométrie)
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(R2) - SI note Indicateur Fuite ≤ 2 ET SI note Indicateur Piézométrie ≤ 2 ET SI note Performance Fonction Etanchéité ≤ 2 ALORS note Phénomène Infiltration = note Performance Fonction Etanchéité
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(R3) - SI note Indicateur Fuite ≤ 2 ET SI note Indicateur Piézométrie ≤ 2 ET SI note Performance Fonction Etanchéité > 2 ALORS note Phénomène Infiltration = note Performance Fonction Drainage
La performance du barrage par rapport à l'érosion interne peut être très différente de la performance de ses composants ou de ses fonctions : en l'occurrence, il faut que les trois fonctions soient défaillantes pour qu'il n'y ait plus de bouclier et qu'il y ait érosion. Si uniquement une ou deux fonctions sont défaillantes, on considère que la performance par rapport à l'érosion interne est conservée.
Le modèle n'est pas chronologique : la défaillance de la fonction de drainage peut se produire avant la défaillance de la fonction d'étanchéité par exemple. C'est le cas lorsqu'on détecte un collecteur de drainage obstrué alors que par ailleurs le niveau des fuites reste faible et non évolutif.