Objectif, intérêt et domaine d'application
Les méthodes expertes procèdent selon un recueil et une formalisation des connaissances théoriques et heuristiques d'experts du domaine. Les systèmes experts ont la capacité à reproduire le raisonnement d'un expert et sont capables de raisonner avec des connaissances d'origine et de nature diverses (Zwingelstein 1995).
Les méthodes expertes offrent l'avantage de pouvoir reproduire l'analyse et le diagnostic menés par un ingénieur lors de l'expertise d'un barrage. Elles ont l'intérêt de reposer sur les méthodes d'inspection traditionnelles avec lesquelles les ingénieurs sont à l'aise et dont ils sont coutumiers. Leur inconvénient majeur est le temps de développement important qui peut leur être associé. Un point essentiel de ce type d'approche est de trouver le niveau d'abstraction pertinent. En effet, les modèles développés doivent être génériques pour une classe de barrages donnée ; par exemple, les barrages en remblai à étanchéité amont, quel que soit le type d'étanchéité –perré en maçonnerie, masque en argile, masque en béton bitumineux...– Il ne s'agit pas de déployer un modèle pour chacun des ouvrages individuels rencontrés.
Un prérequis pour leur mise en œuvre est évidemment l'existence et la disponibilité de sources de connaissances en adéquation avec les objectifs du projet. De manière générale, les différentes connaissances manipulées se présentent sous une forme soit tacite soit explicite et il est important dans un premier temps de les recenser. Le Tableau 1 donne la définition de ces deux types de connaissances (Grundstein et Barthès 1996). Les connaissances explicites sont des savoirs qui sont présents sous la forme :
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de documents tels que des manuels de génie civil ou des guides techniques plus spécialisés sur les barrages comme ceux émis par le CFBR (Comité Français des Barrages et Réservoirs), la CIGB ou le Cemagref,
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de méthodes et d'outils (logiciels) de calcul : essais géotechniques, calcul du gradient hydraulique, calcul du coefficient de résistance au glissement...
Les connaissances tacites relèvent de connaissances heuristiques exploitées à l'aide des connaissances théoriques explicites. Elles sont liées à l'intellect des ingénieurs chargés de missions d'expertise. Les experts, lorsqu'ils mènent une action d'analyse d'un barrage, manipulent donc connaissances théoriques et connaissances heuristiques. Ces dernières augmentent avec le nombre de cas rencontrés par les experts.
Pour les barrages, nous avons classé les connaissances disponibles sur l'évaluation de ces ouvrages dans ces deux catégories, en faisant un distinguo entre les connaissances disponibles au niveau de la profession (« barragistes ») et le savoir disponible dans l'équipe du Cemagref d'Aix-en-Provence. Des équipes d'autres organismes ont également développé des méthodes plus ou moins « raffinées » reposant sur une modélisation des approches expertes (Chou et al. 2001 ; Daly et al. 2004 ; De Laleu et al. 2000 ; Hydro-Québec 2005 ; Tratapel 2004).
La frontière entre le savoir de l'équipe et le savoir individuel de ses membres n'est pas nette car il y a transmission notamment par « compagnonnage » entre certains membres de l'équipe. Il reste toutefois probablement des connaissances purement individuelles liées aux cas rencontrés par chacun des experts : il est ainsi important de rassembler et mettre en commun les différents savoirs individuels.
![Fonctions de conception du noyau étanche d'un barrage en remblai [PEY, 03]](../res/DDF_tableau1.png)
Les retombées de ce type de démarche se situent sur trois plans : le management des connaissances c'est-à-dire leur capitalisation et leur transmission, le regroupement des connaissances et l'homogénéisation des jugements.
La capitalisation des connaissances peut aider à pallier des départs à la retraite ou mutations mais également faciliter la formation d'ingénieurs débutants. En effet, cette capitalisation doit avoir comme objectif, à terme, la transmission de ces savoirs à des ingénieurs en formation. La transmission du savoir est un thème qui a été traité par plusieurs auteurs : la formalisation n'a en effet de sens que si l'acquis est capitalisé d'une manière qui permette de l'exploiter par la suite. La capitalisation de la connaissance constitue un « aspect statique » et ne suffit pas, et qu'il faut faire vivre cette connaissance en apportant un « aspect dynamique », c'est-à-dire une transmission de cette connaissance (Pomian 1996). Cette transmission permet une mise en commun du savoir qui est nommé par (Dieng et al. 1998) sous le terme de « socialisation » du savoir. Il s'agit de transformer une connaissance individuelle en une connaissance collective. Le savoir détenu par quelques individus va être mis en commun et ouvert à d'autres individus.
Cette démarche a également comme conséquence de structurer et regrouper des connaissances de différentes natures (mesures, inspections visuelles, raisonnement...) en un seul outil ; ceci doit favoriser leur utilisation et leur diffusion.
Outre une pérennisation des connaissances sous une forme accessible, la formalisation et l'agrégation des connaissances doivent permettre d'unifier les notations des ingénieurs sous réserve d'un accord entre :
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les notes données par plusieurs experts (reproductibilité),
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les notes données par le même expert lorsqu'on lui demande de répéter la même mesure (répétabilité),
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les notes données par un expert et un non-expert à l'issue d'une phase de formation sur la base de la formalisation réalisée.